J’ai lu pour vous
Trente et un jours seulement
De Roger Faindt
Il y a deux mois encore, je l’avoue,
je ne connaissais pas Roger Faindt. C’est grâce à mon amie Véronique,
germanophone érudite, que j’ai ouvert une nouvelle petite brèche dans mon
inculture…
« La
guerre est indicible. » écrit Roger Faindt lui-même dans sa préface.
Et pourtant c’est avec une grande et
douloureuse virtuosité, grâce à une écriture d’orfèvre, qu’il nous entraîne
dans la gadoue de cette putain de guerre, dans cette vase humaine où se côtoient
les horreurs et l’amour… Un ensemble de textes dont on ne sort pas indemne.
« Le ciel était noir devant nous, d’un noir d’encre, et l’air
incandescent chargé de cette odeur aigre et froide des incendies défunts. Le
sentier, éventré de toutes parts, mélange d’arbres déchiquetés et de chair
morte, se maquillait dans mon esprit de bois luxuriants, tissés de lumière
matinale et de cette brume immaculée qui, tous les matins, décrochait le
sommeil de nos yeux. »
Trente et un jours seulement
« Etait-il possible qu’une vie se résumât en si peu de
temps ? Furent-ils si intenses pour que j’acceptasse, au crépuscule de ma
vie, de refaire le voyage jusque là-bas pour la revoir mourir ! Nous
avions échangé nos adresses. Je la revois encore plier et ranger, dans la poche
de son grand manteau, le petit morceau de papier que je lui avais remis,
m’embrasser sur les lèvres et partir dans la précipitation pour rejoindre les
siens qui combattaient dans le secteur. Un baiser de femme dans l’enfer de la
guerre, personne ne peut mesurer l’énergie que cela vous donne. Un baiser qui
mettait le néant entre parenthèses, qui me rajoutait vingt vies aux vingt
qu’elle m’avait déjà offertes avec ce que nous venions de partager. Quarante
vies pour survivre à cette stupide boucherie qui allait broyer des millions
d’hommes, c’était mieux que les jeux vidéo d’aujourd’hui. »
Dans ces
écrits de l’enfer, on croise des soldats, des hommes, des femmes, des amants,
des enfants, des mamans… qui ont vécu malgré tout.
« Je marche dans une flaque de sang. Une immense flaque de sang qui
se durcit en une croûte épaisse à chacun de mes pas. Je marche avec peine alors
qu’il faudrait que je me dépêche. Il y a comme un brouillard opaque devant moi,
qu’il me faut pousser pour avancer. Un brouillard noir comme la terre et le
ciel, que des mains crèvent en son milieu en laissant s’échapper une odeur de
feu et de sueur qui m’écoeure. Les mains s’agrippent à l’ombre que je dessine
dans le sang. Certaines tiennent des fusils et d’autres cherchent à me toucher.
Elles s’agitent en faisant un bruit d’oiseaux en vol, mais elles ne parviennent
jamais à m‘atteindre. Je marche toujours en pensant être seuls et c’est parce
que je le crois que je ne le suis pas. D’autres me suivent. »
L’écriture très travaillée de Roger
Faindt fonctionne sur votre mental comme des flashs, flashs courts et violents
qui bousculent vos certitudes et vos émotions.
« Un mélange de sueur, de boustifaille, de tabac, de cuir, de
poudre, d’huile de moteur et de fumées d’incendie que la chaleur ambiante
remuait. De sinistres relents qui portaient en eux tous les crimes commis par
ces hommes et ceux à venir. »
Ces
nouvelles vous bouleversent, au sens étymologique du terme. Elles vous retournent
cœur, tripes et boyaux et vous tiraillent à chaque page entre les horreurs
bestiales de la guerre et la force magnifique des sentiments humains.
En lisant ce livre, vous aurez envie
de crier, de vomir, de pleurer… c’est ce qui fait que la lecture de ces
nouvelles est extraordinaire. Un seul conseil : ne pas les lire toutes à
la suite afin de préserver le bijou que constitue chacune d’elles, sans
chevauchement ni overdose.
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