28 jours au Japon
avec J.P. Sartre et S. de
Beauvoir.
De Asabuki Tomiko
Vingt-huit
jours au Japon avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir
(18 septembre - 16 octobre 1966)
L'automne 1966 est une époque marquée par
l'intervention américaine au Viêt Nam mais correspond aussi au voyage de
Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir. En cette période d'interrogation
existentielle, les femmes japonaises tendent à s'émanciper et voient en Simone
de Beauvoir un modèle envié et admiré.
Ce livre retrace au jour le jour les découvertes faites lors de leur séjour par les deux écrivains : monuments, sites, mais aussi le quotidien des Japonais, leurs divertissements et leurs tâches.
Quarante-cinq photos illustrent ce récit. Tomiko Asabuki a revu et augmenté le texte pour le public français. S'y ajoutent une contribution de Takeshi Ebisaka sur l'influence de Sartre au Japon et une importante bibliographie mettant en évidence le retentissement de cette visite.
Ce livre retrace au jour le jour les découvertes faites lors de leur séjour par les deux écrivains : monuments, sites, mais aussi le quotidien des Japonais, leurs divertissements et leurs tâches.
Quarante-cinq photos illustrent ce récit. Tomiko Asabuki a revu et augmenté le texte pour le public français. S'y ajoutent une contribution de Takeshi Ebisaka sur l'influence de Sartre au Japon et une importante bibliographie mettant en évidence le retentissement de cette visite.
Titre original : Sartre, Beauvoir to no 28 nichi kan Nihon,
éd. Dohosha, Kyoto, 1995.
J’ai découvert l’existence de cet ouvrage en
préparant un exposé sur les mots de JP Sartre pour des lectrices japonaises et
à l’occasion d’un long séjour personnel au Japon.
Ce livre est une sorte de compte rendu du
voyage que Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir ont fait au Japon entre le 18
septembre et le 16 octobre 1966.
Il pourrait être un simple récit de voyage mais
il est bien plus que cela, surtout lorsqu’on le lit près de 50 ans après les faits.
Ce récit écrit en 1996 est un témoignage
direct de l’expérience japonaise de deux
monstres de la littérature que l’on découvre autrement à travers leur quotidien
de touristes peu ordinaires !
Le texte est écrit par Asabuki Tomiko qui fut
leur accompagnatrice et amie, avant, pendant et après leur séjour.
Asabuki
Tomiko a passé vingt-huit jours au Japon avec Jean-Paul Sartre et Simone de
Beauvoir et environ trois quarts de siècle sans eux. Les Sartre sont restés au
Japon du 18 septembre au 16 octobre 1966, en pleine gloire; là-bas, on les
comparait à des «Beatles du savoir». Tomiko, c'est son prénom, y fut leur
groupie, leur guide, leur interprète, leur amie, indulgente et attentionnée.
Elle les connaissait déjà car elle est la traductrice des Mémoires d'une jeune fille rangée, de la Force des choses, de la
Femme rompue, elle a mis presque trente ans à se décider à raconter ce
voyage, et son récit est confit par le temps jusqu'à la quasi-béatification des
personnages.
Asabuki
Tomiko, mariée à un ingénieur français, aime la France depuis son adolescence. A
Tokyo sa maison de Shirokanedaï a été épargnée par les bombardements
américains. Elle est issue d'une famille aristocratique. Son grand-père était
le numéro 2 du trust Mitsui, il épousa la nièce de Yukichi Fukuzawa, un des
penseurs du Japon moderne qui lutta pour l'abolition des castes, mort en 1901
et vivant à jamais dans le coeur et le portefeuille des Japonais puisque son
visage illustre les billets de 10 000 yens.
La
jeune Tomiko se marie à 17 ans et débarque à Paris pour y recevoir le choc de
sa vie: «La voix de Louis Jouvet, c'était en 1937, je ne savais pas le français
(j'avais une gouvernante anglaise); mon frère, qui travaillait à Paris,
m'emmena au théâtre, et entendre cette langue dite par cette voix, j'ai
immédiatement compris que le français serait ma vie.» Asabuki Tomiko, la voix
de Jouvet dans l'oreille, rentre au Japon (trente-six jours de bateau) afin de
divorcer de ce jeune homme de bonne famille qui lui avait permis de quitter la
sienne.
Et
revient en France aussi sec (trente-six jours de bateau) au collège de
Bouffémont, en jeune fille rangée, pour trois années, dans cette institution
laïque et bien élevée où l'on parle si bien la langue de Louis Jouvet. Tomiko y
récite des vers français en attendant de les comprendre. Puis elle prend une
chambre en ville. Elle rencontre Vildrac, Duhamel, Rolland, et les autres. En
jeune fille aisée, il lui paraît naturel de ne pas travailler. Mais la guerre
met le Japon à genoux, les Américains laminent par l'impôt les grandes
fortunes. Asabuki Tomiko, qui est rentrée en 1945, connaît l'inconfort de
devoir se nourrir. Son frère Sankichi, le francophile, se met alors à traduire
du français à tour de bras, «pour le bol de riz», Jean Genet, Cocteau, et, plus
tard, Beauvoir (les Mandarins, la Vieillesse). Après un nouveau mariage et un
nouveau divorce, Tomiko retourne à Paris en 1950.
Cette
fois-ci, elle est pauvre, elle vend ses habits, se met à écrire pour des
journaux japonais, puis à traduire: «Mon premier livre fut Je suis couturier par Christian Dior, puis Bonjour tristesse qui connut un grand succès au Japon»; elle
poursuit avec Camus, d'autres Sagan, rencontre enfin Louis Jouvet et peut lui
dire quel virage il lui fit prendre. Elle se rendra à son enterrement («Il m'a
écrit une semaine avant sa mort»). Mishima pousse Tomiko à écrire des nouvelles
sur la France, elle s'y résigne, ce sera les
Hommes de Paris, 42 portraits, 42 rencontres: «Jouvet, bien sûr, Sartre,
Giacometti, et mon plombier, mon épicier.»
Mais
la grande affaire littéraire de la vie d'Asabuki Tomiko, c'est cette amitié
avec Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, cette admiration plutôt, cette
fidélité racontée dans le livre par le menu (à Sartre le poisson cru donne la
nausée), eux qui l'encouragèrent à écrire un roman. Elle le fit: Asako parut au
Japon avec succès en 1977 et fut traduit en français en 1992 aux éditions Côté
femmes: «En japonais le livre s'appelle l'Autre Côté de l'amour, parce qu'au
Japon il faut toujours mettre le mot amour dans un titre.»
Préface de Richard Chambon
«
Mars 1993, mon premier séjour au Japon. Mon amie Asabuki Tomiko m’accueille à
Tokyo, dans sa belle maison de Shirokanedai.
Quelques
jours plus tard, à la gare de Tokyo, Asabuki Tomiko et moi nous pressons, haletants,
vers ce train que nous prendrons si les dieux tutélaires qui président aux
voyages nous sont favorables. C’est une fois apaisés par le confort du
compartiment et sur le point d’inaugurer ce périple qui, via Kyoto, va nous
mener à Nara, l’ancestrale capitale, puis à Isé, ouverte sur le grand univers
blond et bleu du pacifique, qu’Asabuki Tomiko me raconte – ou plutôt me conte,
tant l’évocation est ici source de rêve – ce lundi 26 septembre 1966 quand,
depuis cette même gare de Tokyo, dans un Shinkansen
semblable au nôtre, débuta son voyage à travers le Japon en compagnie de
Jean-Paul Sartre et de Simone de Beauvoir : ce jour-là, ils n’étaient pas
à l’heure, eux non plus. Mais Sartre et Beauvoir étant des invités de marque,
on retarda le départ du train de près de trois minutes afin de les attendre.
Qui sait combien les Japonais tiennent à l’honneur d’être ponctuels et de
respecter l’engagement moral implicite à tout règlement administratif entendra
le caractère exorbitant d’une telle dérogation à la tradition. »
Témoignage d’Hélène de Beauvoir
« Sartre
rêva longtemps d’aller au Japon. Après son agrégation, il demanda un poste à
Kyoto.
Le
poste lui fut refusé, ce qui fut pour lui une grande déception. Ce fut grâce à
l’université de KEIO et à son éditeur Jimbun-shoin qu’il put réaliser son rêve,
37 ans plus tard.
J’étais
harcelée par des femmes qui voulaient faire la connaissance de Simone et, en
général, je me récusais. Quant à Tomiko, elle était trop discrète pour
demander. Mais quand je sus qu’elle commençait à traduire les œuvres de ma
sœur, je trouvai naturel d’organiser une rencontre. Une grande sympathie
réciproque naquit aussitôt et leur amitié dura toute la vie de Simone. Sartre
ne tarda pas à la partager.
Trois
ans plus tard, en 1966, l’université KEIO et les éditions Jimbun-Shoin leur
organisèrent trois conférences au Japon. Tomiko leur montra elle-même son pays.
Ils se mirent en route au cours d’un typhon, le 18 septembre, et n’en firent
pas moins un merveilleux voyage qui les mena du haut lieu du boudhisme,
Koyasan, à Shima, l’île des perles, et jusqu’à Nagasaki et Hiroshima après une
croisière dans la mer intérieure. Ils furent sensibles à la beauté de l’art
japonais, , des temples et des statuettes funéraires en particulier ;
Simone, plus que Sartre, à celle des paysages. Tous deux apprécièrent le charme
de la vie quotidienne et la grâce des Japonaises. Ils eurent la chance
d’assister à une représentation de nô,
et furent conquis. L’unique chose qu’ils ne surent pas apprécier au Japon fut
la nourriture. »
Avant-propos de Asabuki Tomiko
L’auteur
raconte comment elle a fait la connaissance de Simone de Beauvoir d’abord, chez
sa sœur Hélène lors d’un repas puis de Sartre, trois ans plus tard en 1966.
«
Dès que j’eus serré sa main forte et trapue, gaucherie et tension ont disparu
pour faire place à un sentiment de légèreté et d’allégresse. »
« Lorsqu’ils
m’ont demandé de les accompagner pendant les deux semaines de voyage privé qui
devaient suivre, j’ai un peu hésité. Je craignais de rester tout ce temps avec
des personnalités d’une telle envergure : un génie, philosophe
mondialement connu, et l’auteur du deuxième sexe. Mais, tout bien réfléchi, je
me suis dit que c’était une chance rare que d’avoir l’occasion de voyager en
compagnie de ces grands écrivains, et j’ai accepté. »
«
Poussée par mon ami poète Richard Chambon, je me suis décidée, trente ans
après, à raconter leur voyage au Japon. J’ai pensé qu’il était de mon devoir de
laisser un document qui retrace leur façon d’être, ce qu’ils ont dit, et qui
témoigne aussi de toute la chaleur humaine dont ils ont fait preuve pendant
leur séjour. »
Extraits choisis :
«
Nous nous rendons ensuite à GINZA et, pour avoir d’un coup une vue d’ensemble
de la vie réelle des Japonais, nous entrons dans un grand magasin. Mon frère
escorte Sartre et c’est moi qui répond aux questions de Beauvoir. La beauté des
tissus de crêpes peints à la main, les kimonos à manches longues ou courtes la
retiennent quelque temps, mais leur coût la surprend beaucoup. »
« Nous
marchons au hasard dans les ruelles de Shinjuku quand soudain, venu de la
droite, un jeune homme de haute taille, vêtu d’une chemise à carreaux, offre à
Beauvoir deux fleurs rouges. Surprise par un événement aussi insolite, les
joues écarlates, elle soufflle : « Merci.Merci » Et son
admirateur, sans rien demander, disparaît dans l’ombre comme il était venu.
Quelques
instants plus tard, c’est le tour d’une jeune fille qui, s’approchant de
Sartre, lui tend un sac de gâteaux et, pendant que celui-ci la remercie, lui
saisit la main et y dépose un baiser, nous laissant ébahis devant ce happening
imprévu. La jeune fille partie, Sartre dit en plaisantant : « Alors,
j’ai vraiment l’air d’un pape ? »
Tous
deux sont réellement heureux des marques de sympathie que leur prodigue la
jeunesse. Les livres de Sartre et les recherches faites sur son œuvre comptent,
au Japon, plus de lecteurs que dans n’importe quel autre pays du monde. »
« On
peut remarquer que dans leur logis japonais, ils ont transporté leurs bureaux
dans une seuls pièce où ils lisent et rédigent leurs manuscrits, parfois face à
face, parfois en séparant leurs deux tables. Lorsqu’ils sortent, c’est toujours
ensemble. Sartre est totalement dévoué à Beauvoir et elle prend toujours grand
soin de la santé de Sartre. Chez un couple déjà âgé ( 61 et 58 ans ), ces
prévenances mutuelles ont quelque chose de juvénile et de touchant, c’est en
tous cas le sentiment de ceux qui leur servent de guides pendant ce
voyage. »
« Après
les conférences, nous allons visiter le temple de Kiyomizu. Vu d’en bas ce
splendide édifice avec sa charpente assemblée en échafaudage offre un aspect
vraiment original. Des fidèles prient devant le temple, mais ni Sartre ni
Beauvoir ne cherchent à imiter les gestes de la prières bouddhique comme le
font souvent les touristes étrangers. Ils se contentent de regarder, du dehors,
l’intérieur du temple.
Au
retour, nous descendons en flânant la ruelle Sannei-Zaka. De chaque côté
s’alignent de petites boutiques dans le style de Kyoto et chacune possède un
attrait particulier. « C’est la plus jolie promenade de ma vie »,
murmure Sartre. »
Photos personnelles
prises en octobre 2015. Rien n’a changé !
« A
Nara, nous nous promenons dans le parc du sanctuaire de Kasuga et Sartre donne
des biscuits aux biches qui se sont approchées. Dans le parc, un doux soleil
filtre à travers le feuillage et Beauvoir sourit de contentement. »
Nara, photos
personnelles, octobre 2015
« Mon
frère et moi avons été sous le charme : celui de Sartre, mélange de
chaleur humaine, de délicatesse, de tendresse, de conversation spirituelle et
de cet art qu’il avait de mettre les autres à l’aise, et celui de Beauvoir,
fait d’une vitalité débordante, d’une grande rapidité d’esprit alliées à une
noble beauté. Tous deux étaient de merveilleux intellectuels français.
Lors
de leur séjour au Japon, tout les a passionnés, les choses comme les hommes, et
ils se sont véritablement efforcés de les comprendre. Leur sincérité a touché
de nombreux Japonais – et nous tout particulièrement, qui étions si proches
d’eux. Ils se sont comportés si simplement qu’on en a oublié qu’il s’agissait
de philosophes et d’écrivains mondialement célèbres.
Pendant
notre voyage, nous avons toujours été parfaitement heureux et en totale
communion d’idées. Combien nous étions gais !Comme nous avons ri de tout
notre cœur ! L’expression moments de
joie correspond tout à fait à ce que nous avons vécu ensemble. »
Ce
modeste compte rendu de lecture ne vous dispense pas bien sûr de lire par
vous-même cet excellent ouvrage, à la fois documenté, précis et touchant.
J’ai
notamment aimé les remarques de Sartre sur les Japonais et leur
téléphone ! L’écrivain avait remarqué à quel point il était possible de
téléphoner partout au Japon, déjà à l’époque… Et c’était bien avant les
téléphones portables du XXIème siècle que les Japonais ne quittent pas au
bureau, dans le métro… Comme si la société japonaise depuis 1966, date de ce
voyage de Sartre et Beauvoir, s’était figée dans ses paradoxes : entre
tradition et modernité. Tout bouge au Japon, mais les contrastes sont toujours
là.
Je
vous laisse aussi découvrir l’épilogue où Asabuki Tomiko explique comment elle
a appris et géré, comme elle a pu, la mort des ses célèbres amis.
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