Cette page reprend l'ensemble des textes et documents abordés lors du club lecture de l'Institut Français du Japon pendant l'hiver 2016. Merci à Yuko, Toshie, Satomi, Somiko, Teruaki et Eri qui ont rendu ces moments d'échanges possibles.
Biographie de Marcel Pagnol
"Quand je revois la longue série de personnages que j'ai joués
dans ma vie,
je me demande qui je suis..."
Marcel Pagnol
1895
28 février, naissance de Marcel, fils de Joseph Pagnol et d'Augustine née Lansot, à Aubagne, près de Marseille.
1898
28 avril, naissance de son frère, Paul.
1900
Joseph Pagnol est nommé à l'école des Chartreux à Marseille.
1902
2 février, naissance de sa sœur, Germaine.
1909
25 juillet, naissance de son frère, René.
1910
16 juin, mort de sa mère, Augustine.
1914
10 février, parution du premier numéro de "FORTUNIO", revue littéraire de lycéens dirigée par Marcel Pagnol.
1915 - 1922
Réformé pour faiblesse de constitution, Marcel Pagnol enseigne à Digne, Tarascon, Pamiers.
1916
2 mars, Marcel Pagnol épouse Simonne Colin à Marseille.
1922
Marcel Pagnol est nommé répétiteur au lycée Condorcet à Paris.
1928
9 octobre, création de "TOPAZE" au Théâtre des Variétés à Paris.
1929
9 mars, création de "MARIUS" au Théâtre de Paris.
1930
Naissance de son fils, Jacques.
1933
Naissance de son fils, Jean-Pierre.
1934 - 1940
Marcel Pagnol réalise les films : "JOFROI", "ANGELE", "MERLUSSE", "CIGALON", "TOPAZE" (deuxième version), "REGAIN", "CESAR", "LE SCHPOUNTZ", "LA FEMME DU BOULANGER", "LA FILLE DU PUISATIER".
1935
Naissance de sa fille, Francine.
1941
Divorce d'avec Simonne Colin. Acquisition du château de La Buzine.
1945
Mariage avec Jacqueline Bouvier.
1945 - 1952
Réalisation de : "NAIS", "LA BELLE MEUNIERE", "TOPAZE" (troisième version), "MANON DES SOURCES", "UGOLIN".
1946
Naissance de son fils, Frédéric.
1947
27 mars, réception à l'Académie Française.
1951
Naissance de sa fille, Estelle.
1951
15 novembre, mort de son père, Joseph.
1954
Mort de sa fille, Estelle.
1953 - 1954
Réalisation des "LETTRES DE MON MOULIN" d'après Alphonse Daudet.
1957
Début de la parution des "SOUVENIRS D'ENFANCE" : "LA GLOIRE DE MON PERE" suivi du "CHATEAU DE MA MERE".
1959
Parution du "TEMPS DES SECRETS".
1962
Parution de "L'EAU DES COLLINES" ("JEAN DE FLORETTE" et "MANON DES SOURCES").
1964
Parution du "MASQUE DE FER".
1973
Parution du "SECRET DU MASQUE DE FER".
1974
18 avril, mort de Marcel Pagnol à Paris.
1977
Publication posthume du "TEMPS DES AMOURS".
28 février, naissance de Marcel, fils de Joseph Pagnol et d'Augustine née Lansot, à Aubagne, près de Marseille.
1898
28 avril, naissance de son frère, Paul.
1900
Joseph Pagnol est nommé à l'école des Chartreux à Marseille.
1902
2 février, naissance de sa sœur, Germaine.
1909
25 juillet, naissance de son frère, René.
1910
16 juin, mort de sa mère, Augustine.
1914
10 février, parution du premier numéro de "FORTUNIO", revue littéraire de lycéens dirigée par Marcel Pagnol.
1915 - 1922
Réformé pour faiblesse de constitution, Marcel Pagnol enseigne à Digne, Tarascon, Pamiers.
1916
2 mars, Marcel Pagnol épouse Simonne Colin à Marseille.
1922
Marcel Pagnol est nommé répétiteur au lycée Condorcet à Paris.
1928
9 octobre, création de "TOPAZE" au Théâtre des Variétés à Paris.
1929
9 mars, création de "MARIUS" au Théâtre de Paris.
1930
Naissance de son fils, Jacques.
1933
Naissance de son fils, Jean-Pierre.
1934 - 1940
Marcel Pagnol réalise les films : "JOFROI", "ANGELE", "MERLUSSE", "CIGALON", "TOPAZE" (deuxième version), "REGAIN", "CESAR", "LE SCHPOUNTZ", "LA FEMME DU BOULANGER", "LA FILLE DU PUISATIER".
1935
Naissance de sa fille, Francine.
1941
Divorce d'avec Simonne Colin. Acquisition du château de La Buzine.
1945
Mariage avec Jacqueline Bouvier.
1945 - 1952
Réalisation de : "NAIS", "LA BELLE MEUNIERE", "TOPAZE" (troisième version), "MANON DES SOURCES", "UGOLIN".
1946
Naissance de son fils, Frédéric.
1947
27 mars, réception à l'Académie Française.
1951
Naissance de sa fille, Estelle.
1951
15 novembre, mort de son père, Joseph.
1954
Mort de sa fille, Estelle.
1953 - 1954
Réalisation des "LETTRES DE MON MOULIN" d'après Alphonse Daudet.
1957
Début de la parution des "SOUVENIRS D'ENFANCE" : "LA GLOIRE DE MON PERE" suivi du "CHATEAU DE MA MERE".
1959
Parution du "TEMPS DES SECRETS".
1962
Parution de "L'EAU DES COLLINES" ("JEAN DE FLORETTE" et "MANON DES SOURCES").
1964
Parution du "MASQUE DE FER".
1973
Parution du "SECRET DU MASQUE DE FER".
1974
18 avril, mort de Marcel Pagnol à Paris.
1977
Publication posthume du "TEMPS DES AMOURS".
Les lieux de vie de Marcel Pagnol
"À Marseille, je suis
toujours enfant, à Paris, je suis vieux..."
Marcel Pagnol
Marcel Pagnol naît à Aubagne,
au 16 cours Barthélémy, à quelques kilomètres de Marseille où il part bientôt
habiter avec ses parents.
Il y passe toute son enfance et son adolescence et fait ses études au lycée Thiers.
Pendant les vacances, son père loue, avec l'oncle Jules, une maison dans les collines, la fameuse "Bastide Neuve" au-delà du petit village de La Treille. Marcel demeure un Marseillais dans l'âme.
Nommé enseignant à Paris, quelques années plus tard, il y écrit ses premières pièces à succès. "Exilé" ainsi dans la capitale, il va retrouver et décrire Marseille dans "MARIUS".
Il y passe toute son enfance et son adolescence et fait ses études au lycée Thiers.
Pendant les vacances, son père loue, avec l'oncle Jules, une maison dans les collines, la fameuse "Bastide Neuve" au-delà du petit village de La Treille. Marcel demeure un Marseillais dans l'âme.
Nommé enseignant à Paris, quelques années plus tard, il y écrit ses premières pièces à succès. "Exilé" ainsi dans la capitale, il va retrouver et décrire Marseille dans "MARIUS".
Marcel Pagnol vécut à Paris à plusieurs
reprises. Mais le cinéma va le ramener vers le midi et vers ses "chères
collines". Dès les années trente, il crée, à Marseille, ses laboratoires
puis ses studios de cinéma.
En 1941, il veut faire une Cité du Cinéma dans la région et achète le Château de la Buzine. Il va y reconnaître le château de "l'effroi" qu'il évoquera plus tard dans le deuxième tome de ses "Souvenirs d'Enfance", "Le Château de ma Mère".
Il va aussi acheter le domaine de l'Étoile, à la Gaude, près de Cagnes pour se lancer en 1941 dans "la culture intensive des œillets" et éviter le STO (Servive du Travail Obligatoire) aux techniciens de ses studios revendus à la Gaumont. Par la suite, il y passera la plupart de ses vacances avec sa famille.
À la fin de la guerre, il se retire un temps dans sa propriété de la Sarthe, au moulin d'Ignières qu'il revendra vers la fin des années cinquante. Pour tourner "La Belle Meunière" avec Jacqueline Pagnol et Tino Rossi, Pagnol fera l'acquisition d'un vieux moulin à "La Colle-sur-Loup" dans l'arrière-pays niçois. Dès 1926, Marcel s'est pris d'affection pour la principauté de Monaco. En 1951, il décide de s'installer à Monte-Carlo auprès de son ami le prince Rainier. Il achète "La Lestra", magnifique villa du XIXe siècle située près de la baie. Marcel, Jacqueline, Frédéric et Estelle y vivent heureux jusqu'au début 1954. "C'est le plus beau temps de notre vie" écrira Pagnol. Puis, rappelé par l'Académie, Pagnol revient vers Paris et ouvre des bureaux rue Fortuny.
Il habite alors rue Jean Goujon, puis va bientôt acquérir un hôtel particulier au square de l'avenue Foch. C'est là qu'il va demeurer, auprès de Jacqueline, jusqu'à la fin de sa vie.
En 1941, il veut faire une Cité du Cinéma dans la région et achète le Château de la Buzine. Il va y reconnaître le château de "l'effroi" qu'il évoquera plus tard dans le deuxième tome de ses "Souvenirs d'Enfance", "Le Château de ma Mère".
Il va aussi acheter le domaine de l'Étoile, à la Gaude, près de Cagnes pour se lancer en 1941 dans "la culture intensive des œillets" et éviter le STO (Servive du Travail Obligatoire) aux techniciens de ses studios revendus à la Gaumont. Par la suite, il y passera la plupart de ses vacances avec sa famille.
À la fin de la guerre, il se retire un temps dans sa propriété de la Sarthe, au moulin d'Ignières qu'il revendra vers la fin des années cinquante. Pour tourner "La Belle Meunière" avec Jacqueline Pagnol et Tino Rossi, Pagnol fera l'acquisition d'un vieux moulin à "La Colle-sur-Loup" dans l'arrière-pays niçois. Dès 1926, Marcel s'est pris d'affection pour la principauté de Monaco. En 1951, il décide de s'installer à Monte-Carlo auprès de son ami le prince Rainier. Il achète "La Lestra", magnifique villa du XIXe siècle située près de la baie. Marcel, Jacqueline, Frédéric et Estelle y vivent heureux jusqu'au début 1954. "C'est le plus beau temps de notre vie" écrira Pagnol. Puis, rappelé par l'Académie, Pagnol revient vers Paris et ouvre des bureaux rue Fortuny.
Il habite alors rue Jean Goujon, puis va bientôt acquérir un hôtel particulier au square de l'avenue Foch. C'est là qu'il va demeurer, auprès de Jacqueline, jusqu'à la fin de sa vie.
Pour aller plus loin, un reportage à regarder et à écouter...
Marcel Pagnol homme de théâtre
TOPAZE en résumé
ACTE 1
Topaze est un modeste professeur, amoureux de sa collègue
Ernestine, la fille de M. Muche, le directeur de la pension où il enseigne.
Ernestine le mène par le bout du nez, lui faisant corriger ses copies ou
surveiller ses élèves, ce que Topaze, naïf, prend pour une marque d'affection.
Il charge son ami Tamise, également professeur, de tâter discrètement le
terrain auprès du père pour une demande en mariage. Arrive alors une jeune
femme élégante, Suzy Courtois, tante d'un enfant auquel il donne des cours à l'extérieur
de l'établissement. Elle a l'intention d'y faire admettre l'enfant, mais elle
se ravise après l'avoir visité. Puis l'honnête Topaze refuse naïvement
d'inventer une erreur dans le bulletin de notes du fils d’une baronne, malgré
l'insistance du directeur. Sur ce, Tamise révèle étourdiment à Muche
l'intention de Topaze d'épouser sa fille. Tout ceci fait que Muche, furieux,
licencie Topaze.
ACTE 2
Topaze donne une leçon à son élève, chez Suzy Courtois.
Celle-ci est la maîtresse d'un conseiller municipal, Régis Castel-Bénac qui,
grâce à sa situation, fait des affaires douteuses et lucratives dont Suzy
profite largement. Roger, l'homme de paille de Castel-Bénac réclame une plus
grosse part des bénéfices, ce que refuse le conseiller municipal. L'affaire en
cours devant être traitée sans délai, Suzy lui propose alors d'utiliser le naïf
Topaze. Sans se douter de rien, celui-ci accepte d’être le directeur d'une
nouvelle agence d'affaires et de signer certains documents à la place de
Castel-Bénac. Lorsque Roger (le prête-nom) fait comprendre à Topaze la vraie
nature de ces « affaires », Suzy parvient à le dissuader de les
dénoncer, prétendant que Castel-Bénac l'oblige à être sa complice ; Topaze
accepte alors de se taire et de faire bonne figure au conseiller municipal
pour, croit-il, « sauver » Suzy.
ACTE 3
Topaze est maintenant directeur d'un cabinet d'affaires, mais
sa brillante situation ne le rend pas du tout heureux. Persuadé que
« l'argent ne fait pas le bonheur », il est tourmenté par sa
conscience et craint à tout moment qu'on vienne l'arrêter ; et il a
découvert que Suzy est la maîtresse et complice de Castel-Bénac, et non sa
victime. Pourtant, il avoue son amour à Suzy, mais celle-ci ne recherche que
son amitié. Il éconduit Muche et Ernestine, prête à se donner à cet ancien
soupirant devenu si intéressant. Il n'est plus dupe mais continue malgré tout à
servir d’homme de paille à Castel-Bénac.
ACTE 4
Suzy reproche à Castel-Bénac de la tenir à l’écart de sa
nouvelle affaire, ce qu’il nie ; cette affaire a été initiée par Topaze
seul, devenu très élégant et sûr de lui. Il annonce à Castel-Bénac son
intention de travailler désormais seul sur des affaires d'envergure ; c'est
la rupture, le conseiller municipal n'a aucun recours possible contre son ex
prête-nom. Suzy rompt également avec Castel-Bénac, elle va devenir la maîtresse
de Topaze. Son ami Tamise, resté un honnête professeur, lui rend visite.
D’abord horrifié et peiné de constater que Topaze est corrompu par l'argent,
Tamise ne refuse cependant pas sa proposition de venir travailler avec lui.
TOPAZE scènes 1 et 2
Quand le rideau se
lève, M. Topaze fait faire une dictée à un élève. M. Topaze a trente ans
environ. Longue barbe noire qui se termine en pointe sur le premier bouton du
gilet. Col droit, très haut, en celluloïd, cravate misérable, redingote usée,
souliers à boutons.
L'Élève est un petit
garçon de douze ans. Il tourne le dos au public. On voit ses oreilles
décollées, son cou d'oiseau mal nourri. Topaze dicte et, de temps à autre, il
se penche sur l'épaule du petit garçon pour lire ce qu'il écrit.
TOPAZE. (il
dicte en se promenant). «Des moutons... Des moutons... étaient en sûreté...
dans un parc; dans un parc. (Il se penche sur l'épaule de l’Élève et reprend.) Des moutons... moutonss...(L’Élève le regarde ahuri.) Voyons, mon enfant, faites un effort. Je
dis moutonsse. Etaient (il reprend avec finesse) étai-eunnt. C'est-à-dire qu'il n'y avait pas qu'un moutonne.
Il y avait plusieurs moutonsse.»
L’Élève le regarde,
perdu. A ce moment, par une porte qui s'ouvre à droite au milieu du décor,
entre Ernestine Muche. C'est une jeune fille de vingt-deux ans, petite
bourgeoise vêtue avec uneélégance bon marché. Elle porte une serviette sous le bras.
SCÈNE II
L'ÉLÈVE, TOPAZE, ERNESTINE
ERNESTINE. Bonjour, monsieur
Topaze.
TOPAZE. Bonjour, mademoiselle Muche.
ERNESTINE. Vous n'avez pas vu
mon père?
TOPAZE. Non, M. le
directeur ne s'est point montré ce matin.
ERNESTINE. Quelle heure est-il
donc?
TOPAZE. (il tire sa montre qui est énorme et presque sphérique). Huit heures moins
dix, mademoiselle. Le tambour va rouler dans trente-cinq minutes exactement...
Vous êtes bien en avance pour votre classe.
ERNESTINE. Tant mieux, car j'ai du travail. Voulez-vous me prêter votre encre rouge?
TOPAZE. Avec le plus grand
plaisir, mademoiselle... Je viens tout justement d'acheter ce flacon, et je
vais le déboucher pour vous.
ERNESTINE. Vous êtes fort
aimable...
Topaze quitte son livre, et prend sur le bureau un petit
flacon qu'il va déboucher avec la pointe d'un canif pendant les répliques
suivantes.
TOPAZE.
Vous allez corriger des devoirs?
ERNESTINE. Oui, et je n'aime
pas beaucoup ce genre d'exercices...
TOPAZE. Pour moi, c'est
curieux, j'ai toujours eu un penchant naturel à corriger des devoirs... Au
point que je me suis parfois surpris à rectifier l'orthographe des affiches
dans les tramways, ou sur les prospectus que des gens cachés au coin des rues
vous mettent dans les mains à l'improviste… (Il a réussi à ôter le bouchon.)
Voici, mademoiselle. (Il flaire le flacon débouché avec un plaisir
évident, et le tend à Ernestine.) Et je vous prie de garder ce flacon aussi
longtemps qu'il vous sera nécessaire.
ERNESTINE. Merci, monsieur
Topaze.
TOPAZE. Tout à votre
service, mademoiselle...
ERNESTINE. (elle allait sortir, elle s'arrête).
Tout à mon service? C'est une phrase toute faite mais vous la dîtes bien!
TOPAZE. Je la dis de mon
mieux et très sincèrement...
ERNESTINE. Il y a quinze jours, vous ne la disiez pas, mais vous étiez beaucoup
plus aimable.
TOPAZE (ému). En quoi, mademoiselle?
ERNESTINE. Vous m'apportiez
des boîtes de craie de couleur, ou des calendriers perpétuels, et. vous veniez
jusque dans ma classe corriger les devoirs de mes élèves... Aujourd'hui, vous
ne m'offrez plus de m'aider...
TOPAZE. Vous aider? Mais si j'avais sollicité cette faveur, me l'eussiez-vous accordée?
ERNESTINE. Je ne sais pas. Je
dis seulement que vous ne l'avez pas
sollicitée. (Elle montre le flacon et elle dit assez sèchement.) Merci tout de même....
Elle fait mine de se retirer.
TOPAZE (très ému). Mademoiselle,
permettez-moi...
ERNESTINE. (sèchement). J'ai beaucoup de travail,
monsieur Topaze...
Elle va sortir. Topaze, très ému, la rejoint.
TOPAZE (pathétique). Mademoiselle Muche, mon
cher collègue, je vous en supplie: ne me quittez pas sur un malentendu aussi
complet.
ERNESTINE (elle s'arrête). Quel malentendu?
TOPAZE. Il est exact que
depuis plus d'une semaine je ne vous ai pas offert mes services; n'en cherchez
point une autre cause que ma discrétion. Je craignais d'abuser de votre
complaisance, et je redoutais un refus, qui m'eût été d'autant plus pénible que
le plaisir que je m'en promettais était plus grand. Voilà toute la vérité.
ERNESTINE. Ah? Vous présentez fort bien les choses...
Vous êtes beau parleur, monsieur Topaze...
Elle rit.
TOPAZE (il fait un pas en avant). Faites-moi la
grâce de me confier ces devoirs...
ERNESTINE. Non, non, je ne
veux pas vous imposer une corvée...
TOPAZE (lyrique). N'appelez point une corvée ce
qui est une joie... Faut-il vous le dire: quand je suis seul, le soir, dans ma
petite chambre, penché sur ces devoirs que vous avez dictés, ces problèmes que
vous avez choisis, et ces pièges orthographiques si délicatement féminins, il me semble… (Il hésite puis,
hardiment.) que je suis encore
près de vous...
ERNESTINE. Monsieur Topaze,
soyez correct, je vous prie...
TOPAZE (enflammé). Mademoiselle, je vous
demande pardon; mais considérez que ce débat s'est engagé de telle sorte que
vous ne pouvez plus me refuser cette faveur sans me laisser sous le coup d'une
impression pénible et m'infliger un chagrin que je n'ai pas mérité.
ERNESTINE (après un petit temps). Allons, je veux
bien céder encore une fois... (Elle ouvre sa serviette et en tire plusieurs
liasses de devoirs, l'une après l'autre.)
TOPAZE (les prend avec joie; à chaque liasse, il
répète avec ferveur). Merci,
merci, merci, merci, merci...
ERNESTINE. Il me les faut pour
demain matin.
TOPAZE. Vous les aurez.
ERNESTINE. Et surtout, ne
mettez pas trop d'annotations dans les marges... Si l'un de ces devoirs tombait
sous les yeux de mon père, il reconnaîtrait votre écriture au premier coup
d'œil.
TOPAZE (inquiet et charmé). Et vous croyez que
M. le directeur en serait fâché?
ERNESTINE. M. le directeur ferait de violents reproches à sa fille.
TOPAZE. J'ai une petite
émotion quand je pense que nous faisons
ensemble quelque chose de défendu.
ERNESTINE. Ah! taisez-vous...
TOPAZE. Nous avons un
secret... C'est délicieux, d'avoir un secret. Une sorte de complicité...
ERNESTINE. Si vous employez de
pareils termes, je vais vous demander de me rendre mes devoirs.
TOPAZE. N'en faites rien,
mademoiselle, je serais capable de vous désobéir... Vous les aurez demain
matin...
ERNESTINE. Soit. Demain matin,
à huit heures et demie... Au revoir et pas un mot.
TOPAZE (mystérieux). Pas un mot.
Ernestine sort par là où elle était venue. Topaze resté
seul rit de plaisir et lisse sa barbe. Il met les liasses de devoirs dans son
tiroir. Enfin, il reprend son livre et revient vers l'Elève.
TOPAZE. Allons, revenons à
nos moutonnse.
A ce moment, la porte-fenêtre s'ouvre,
et M. Muche paraît.
Marcel Pagnol a lui-même mis en scène sa pièce dans un film avec Fernandel :
Marcel Pagnol a publié ses souvenirs d'enfance dans 4 romans autobiographiques :
- La Gloire de mon père
- Le Château de ma mère
- Le Temps des secrets
- Le Temps des amours
Il y évoque notamment son amour pour sa mère mais aussi pour sa Provence natale qu'il aimait tant.
L'incipit de La Gloire de mon père est célèbre pour placer tout le récit dans le contexte de la Provence.
" Je suis né dans la ville d'Aubagne, au pied d'une montagne bleue, le Garlaban, couronné de chèvres. Les tuiles des toits sont si rouges que si la terre n'était pas ronde, vous pourriez les voir de Stockholm. Sur le cours, il y a la statue de M. l'abbé de Barthélémy..."
Le Conseil Municipal d’Aubagne décida en 1823 l’érection d’un monument destiné à honorer le premier académicien d’Aubagne : l’Abbé Jean-Jacques Barthélemy
Extrait N° 1 : Lecteur
précoce
Lorsqu'elle
allait au marché, ma mère me laissait au passage dans la classe de mon père,
qui apprenait à lire à des gamins de six ou sept ans. Je restais assis, bien
sage, au premier rang, et j'admirais la toute-puissance paternelle. Il tenait à
la main une baguette de bambou : elle lui servait à montrer les mots qu'il
écrivait au tableau noir, et quelquefois à frapper sur les doigts d'un cancre
inattentif.
Un beau
matin, ma mère me déposa à ma place, et sortit sans mot dire, pendant qu'il
écrivait magnifiquement sur le tableau : « La maman a puni son petit garçon qui
n'était pas sage.»
Tandis qu'il
arrondissait un admirable point final, je criai : « Non! Ce n'est pas vrai! »
Mon père se
retourna soudain, me regarda stupéfait, et s'écria : « Qu'est-ce que tu dis ?
– Maman ne
m'a pas puni! Tu n'as pas bien écrit! »
Il s'avança
vers moi :
« Qui t'a dit
qu'on t'avait puni?
– C'est
écrit. »
La surprise
lui coupa la parole un moment.
« Voyons,
voyons, dit-il enfin, est-ce que tu sais lire ?
– Oui
– Voyons,
voyons... », répétait-il.
Il dirigea la
pointe du bambou vers le tableau noir.
« Eh bien,
lis. »
Je lus la
phrase à haute voix.
Alors, il
alla prendre un abécédaire, et je lus sans difficulté plusieurs pages...
Je crois
qu'il eut ce jour-là la plus grande joie de sa vie.
Lorsque ma
mère survint, elle me trouva au milieu des quatre instituteurs, qui avaient
renvoyé leurs élèves dans la cour de récréation, et qui m'entendaient
déchiffrer lentement l'histoire du Petit Poucet... Mais au lieu d'admirer cet
exploit, elle pâlit, déposa ses paquets par terre, referma le livre, et
m'emporta dans ses bras, en disant : « Mon Dieu! mon Dieu!...»
Sur la porte de la classe, il y avait la concierge, qui était une
vieille femme corse : elle faisait des signes de croix. J'ai su plus tard que
c'était elle qui était allée chercher ma mère, en l'assurant que «ces
messieurs» allaient me faire «éclater le cerveau ».
A table, mon
père affirma qu'il s'agissait de superstitions ridicules, que je n'avais fourni
aucun effort, que j'avais appris à lire comme un perroquet apprend à parler, et
qu'il ne s'en était même pas aperçu. Ma mère ne fut pas convaincue, et de temps
à autre elle posait sa main fraîche sur mon front et me demandait : « Tu n'as
pas mal à la tête ? »
Non, je n'avais pas mal à la tête, mais jusqu'à
l'âge de six ans, il ne me fut plus permis d'entrer dans une classe, ni
d'ouvrir un livre, par crainte d'une explosion cérébrale.
Extrait N° 2 : Chez le
brocanteur
Nous nous arrêtâmes au bout du boulevard de
la Madeleine, devant une boutique noirâtre. Elle commençait sur le trottoir qui
était encombré de meubles hétéroclites, autour d'une très vieille pompe à
incendie à laquelle était accroché un violon.
Le maître de ce commerce était grand, très
maigre, et très sale. Il portait une barbe grise, et des cheveux de troubadour
sortaient d'un grand chapeau d'artiste.
Mon père lui avait déjà rendu visite et
avait retenu quelques «meubles » ; une commode, deux tables, et plusieurs
fagots de morceaux de bois poli qui, selon le brocanteur, devaient permettre de
reconstituer six chaises.
Le brocanteur nous aida à charger tout ce
fourniment sur la charrette à bras. Le tout fut arrimé avec des cordes, qu'un
long usage avait rendu chevelues. Puis, on fit les comptes. Après une sorte de
méditation, le brocanteur regarda fixement mon père et dit :
« Ça fait cinquante francs!
- Ho ho! dit mon père, c'est trop cher!
- C'est cher, mais c'est beau, dit le
brocanteur. La commode est d'époque! »
Il montrait du doigt cette ruine vermoulue.
« Je le crois volontiers, dit mon père. Elle
est certainement d'une époque, mais pas de la nôtre! »
Le brocanteur prit un air dégoûté et dit :
« Vous aimez tellement le moderne ?
- Ma
foi, dit mon père, je n'achète pas ça pour un musée. C'est pour m'en servir.»
Le vieillard parut attristé par cet aveu.
« Alors, dit-il, ça ne vous fait rien de
penser que ce meuble a peut-être vu la reine Marie-Antoinette en chemise de
nuit ?
- D'après son état, dit mon père, ça ne
m'étonnerait pas qu'il ait vu le roi Hérode en caleçons!
- Là, je vous arrête, dit le brocanteur, et
je vais vous apprendre une chose : le roi Hérode avait peut-être des caleçons,
mais il n'avait pas de commode! Rien que des coffres à clous d'or. Je vous le
dis parce que je suis honnête.
- Je vous remercie, dit mon père. Et puisque
vous êtes honnête, vous me faites le tout à trente-cinq francs. »
Le brocanteur nous regarda tour à tour,
hocha la tête avec un douloureux sourire, et déclara :
« Ce
n'est pas possible, parce que je dois cinquante francs à mon propriétaire qui
vient encaisser à midi.
- Alors, dit mon père indigné, si vous lui
deviez cent francs, vous oseriez me les demander ?
- Il faudrait bien! Où voulez-vous que je
les prenne ? Remarquez que si je ne devais que quarante francs, je vous en
demanderais quarante. Si je devais trente, ça serait trente...
- Dans ce cas, dit mon père, je ferais mieux
de revenir demain, quand vous l'aurez payé et que vous ne lui devrez plus rien...
- Ah maintenant, ce n'est plus possible!
s'écria le brocanteur. Il est onze heures juste. Vous êtes tombé dans ce
coup-là : vous n'avez plus le droit d'en sortir.
- Bien, dit mon père. Dans ce cas, nous
allons décharger ces débris, et nous irons nous servir ailleurs. Petit, détache
les cordes ! »
Le brocanteur me retint par le bras en
criant : « Attendez ! »
Puis il regarda mon père avec une tristesse
indignée, secoua la tête, et me dit : « Comme il est violent ! »
Il s'avança vers lui, et parla
solennellement :
« Sur le prix, ne discutons plus : c'est
cinquante francs; ça m'est impossible de le raccourcir. Mais nous pouvons
peut-être allonger la marchandise.»
Il entra dans sa boutique : mon père me fit
un clin d’œil triomphal.
Extrait N°3 : La restauration des meubles
Lorsque ma mère, qui nous
attendait à la fenêtre, vit arriver ce
chargement, elle disparut aussitôt pour reparaitre sur le seuil.
« Joseph, dit-elle selon
l'usage, tu ne vas pas entrer toutes ces saletés dans la maison ?
- Ces saletés, dit mon père,
vont être la base d'un mobilier rustique que tu ne te lasseras pas de regarder.
Laisse-nous seulement le temps d'y travailler!
Mes plans sont faits, et je sais où je vais.»
Ma mère secoua la tête et soupira,
tandis que le petit Paul accourait pour
aider au déchargement. Nous transportâmes tout le matériel à la cave, où mon
père avait décidé d'installer notre atelier.
Nos travaux commencèrent par
le classement de l'outillage. Une scie, un marteau, une paire de tenailles, des
clous de tailles différentes, mais également tordus par de précédentes
extractions, des vis, un tournevis, un rabot, un ciseau à bois.
J'admirai ces trésors, ces Machines, que le
petit Paul n'osait pas toucher, car il croyait à la méchanceté active des
outils pointus ou tranchants, et faisait peu de différence entre une scie et un
crocodile. Cependant il comprit bien que de grandes choses se préparaient; il
partit soudain en courant, et nous rapporta, avec un beau sourire, deux bouts
de ficelle, de petits ciseaux en celluloïd et un écrou qu'il avait trouvé dans
la rue.
Nous accueillîmes ce complément
d'outillage avec des cris d'enthousiasme et de reconnaissance, tandis que Paul
rougissait de fierté.
Mon père l'installa sur un tabouret de bois, et lui recommanda de n'en
jamais descendre.
« Tu vas nous être très utile,
lui dit-il, parce que les outils ont une grande malice : dès qu'on en cherche
un, il le comprend, et il se cache...
- Parce qu'ils ont peur des
coups de marteau! dit Paul.
- Naturellement, dit mon père.
Alors, toi, sur ce tabouret, surveille-les bien : ça nous fera gagner beaucoup
de temps. »
Extrait N° 4 : Perdu dans les collines
Marcel suit son père et l'oncle Jules partis à
la chasse. Mais, bien vite, il s'égare.
Je regardai
derrière moi, pour mesurer le chemin parcouru, et je vis là-haut, dans le ciel,
une montagne inconnue. C'était le Taoumé, mais comme je n'avais jamais vu que
sa face je ne le reconnus pas.
Je fus d'abord perplexe, puis
inquiet. Je regardai encore, et de tous côtés. Je ne vis aucun repère : je
décidai alors de retourner à la maison ou plutôt vers la maison : car, pour
sauver la face, je ne me montrerais pas. J'attendrais, à la lisière des
pinèdes, le retour des chasseurs, et je rentrerais avec eux.
Je revins donc sur mes pas, ce
qui me paraissait facile : j'avais compté sans la malice des choses.
Les chemins qu'on laisse
derrière soi en profitent pour changer de visage. Le sentier, qui partait vers
la droite, a changé d'idée : au retour, il va vers la gauche... Il descendait
par une pente douce : le voilà qui monte comme un remblai.
En bon Comanche, je cherchai mes
traces : une empreinte, une pierre déplacée, une branche brisée. Je ne vis
rien, et je pensai à la merveilleuse intelligence du Petit Poucet, génial
inventeur de la piste préfabriquée : il était bien trop tard pour l'imiter.
Soudain, une ombre passa sur le
taillis. Je levai la tête, et je vis un condor. Il planait majestueusement :
l'envergure de ses ailes me parut deux fois plus grande que celle de mes bras.
Il s'éloigna, sur ma gauche. Je pensai qu'il était venu par curiosité pure,
pour jeter un coup d’œil sur l'intrus qui osait pénétrer dans son royaume. Mais
je le vis prendre un large virage en passant derrière moi et revenir à ma
droite: je constatai avec terreur qu'il décrivait un cercle dont j'étais le
centre, et que ce cercle descendait peu à peu vers moi.
Je saisis alors mon couteau. Il
me sembla que le cercle de la mort cessait de descendre. Puis, pour montrer à
la bête féroce que je n'étais pas au bout de mes forces, j'exécutai une danse
sauvage, terminée par de grands éclats de rire sarcastiques, si bien répercutés
par les échos du ravin qu'ils m'effrayèrent moi-même... Mais cet arracheur de
lambeaux sanglants n'en parut pas intimidé, et reprit sa descente fatale.
Le meurtrier venait de
s'immobiliser, à vingt ou trente mètres au-dessus de ma tête : je voyais frémir
ses ailes immenses, son cou était tendu vers moi... Soudain, il plongea, à la
vitesse d'une pierre qui tombe. Fou de peur,
je me lançai à plat ventre sous un gros cade, avec un hurlement de
désespoir. Au même instant retentit un bruit terrible : une compagnie de
perdrix s'envolait, épouvantée, à dix mètres
devant moi, et je vis remonter l'oiseau de proie : d'un vol ample et
puissant, il emportait dans ses serres une perdrix...
Extrait N°5 : La gloire de mon père
Totalement désespéré, Marcel se prépare à
passer la nuit dans une hutte en pierre. Puis, il se ressaisit, se remet en
marche. Il s'approche d'un vallon...
J'étais encore à cinquante pas
de la barre, lorsqu'une détonation retentit, puis, deux secondes plus tard, une
autre ! Le son venait d'en bas : je m'élançai, bouleversé de joie, lorsqu'un
vol de très gros oiseaux, jaillissant du vallon, piqua droit sur moi... Mais le
chef de la troupe chavira soudain, ferma ses ailes, et traversant un grand
genévrier, vint frapper lourdement le sol. Je me penchais pour le saisir, quand
je fus à demi assommé par un choc violent qui me jeta sur les genoux : un autre
oiseau venait de me tomber sur le crâne. Je frottai vigoureusement ma tête
bourdonnante : je vis ma main rouge de sang. Je crus que c'était le mien, et
j'allais fondre en larmes, lorsque je constatai que les volatiles étaient
eux-mêmes ensanglantés, ce qui me rassura aussitôt.
Je les pris tous deux par les
pattes. C'étaient des perdrix, mais leur poids me surprit : j'avais beau
hausser les bras, leurs becs rouges touchaient encore le gravier.
Alors, mon cœur sauta dans ma
poitrine : des bartavelles ! Des perdrix royales ! Je les emportai vers le bord
de la barre – c'était peut-être un doublé de l'oncle Jules?
Comme je traversais péniblement
un fourré d'argéas, j'entendis une voix sonore, qui faisait rouler les r aux échos : c'était celle de l'oncle
Jules, voix du salut !
A travers les branches, je le
vis. Il criait sur un ton de mauvaise humeur :
« Mais non, Joseph, mais non !
Il ne fallait pas tirrer ! Elles venaient vers moi ! C'est vos coups de fusil
pour rrien qui les ont détournées ! »
J'entendis la voix de mon père,
que je ne pouvais voir, car il devait être sous la barre :
« J'étais à bonne portée, et je
crois bien que j'en ai touché une, j'ai vu voler des plumes.
– Moi aussi, ricana l'oncle
Jules, j'ai vu voler des plumes, qui emportaient les bartavelles à soixante à
l'heure, jusqu'en haut de la barre où elles doivent se foutre de nous ! »
Je m'étais approché, et je
voyais le pauvre Joseph. Sous sa casquette de travers, il mâchonnait
nerveusement une tige de romarin, et hochait une triste figure. Alors, je
bondis sur la pointe d'un rocher qui s'avançait au-dessus du vallon et, le
corps tendu comme un arc, je criai de toutes mes forces : « Il les a tuées !
Toutes les deux ! Il les a tuées ! »
Et dans mes petits poings
sanglants d'où pendaient quatre ailes dorées, je haussais vers le ciel la gloire de mon père en face du soleil couchant.
L’évocation de la Provence
Dans Le Château de ma mère
De Marcel Pagnol
Marcel à la chasse,
avec son père et l’oncle Jules…
Nous arrivions ensuite marchant dans l’ombre en file
indienne, au « jas de Baptiste ». C’était une antique bergerie où
notre ami François dormait quelquefois avec ses chèvres : là, sur la
longue plaine qui montait vers le Taoumé, les rayons rouges du soleil nouveau
faisaient surgir peu à peu les pins, les cades, les messugues, et comme un
navire qui sort du port de la brume, la haute proue du pic solitaire se
dressait soudain devant nous.
Le Cade ou Genévrier cade (Juniperus
oxycedrus), est un petit arbre ou un arbrisseau fréquent en région côtière méditerranéenne (du Maroc à l'Iran), où il est l'une des plantes caractéristiques des garrigues et des maquis.
les
messugues
L’amitié de Lili …
Avec l’amitié de Lili, une nouvelle vie commença pour
moi. Après le café au lait matinal, quand je sortais à l’aube avec les
chasseurs, nous le trouvions assis par terre, sous le figuier, déjà très occupé
à la préparation de ses pièges.
Il en possédait trois douzaines, et mon père m’en
avait acheté vingt-quatre au bazar d’Aubagne, qui les vendait hypocritement
sous le nom de « pièges à rats ».
Le figuier
Pendant que nous mangions l’omelette aux tomates –
délicieuse quand elle est froide – les côtelettes grésillaient sur une braise
de romarin. Parfois l’oncle Jules, la bouche pleine, saisissait brusquement son
fusil, et tirait vers le ciel, à travers les branches, sur quelque chose que
personne n’avait vu : et tout à coup tombait une palombe, un loriot, un
épervier
Lili savait tout ; le temps qu’il ferait, les
sources cachées, les ravins où l’on trouve des champignons, des salades
sauvages, des pins-amandiers, des prunelles, des arbousiers ; il
connaissait, au fon d’un hallier, quelques pieds de vigne qui avait échappé au
Phylloxéra, et qui mûrissaient dans la solitudes des grappes aigrelettes, mais
délicieuses. Avec un roseau, il faisait une flûte à trois trous. Il prenait une
branche bien sèche de Clématite, il en coupait un morceau entre les nœuds, et
grâce aux mille canaux invisibles qui suivaient le fil du bois, on pouvait la
fumer comme un cigare.
Il me présenta au vieux jujubier de la Pondrane, au
sorbier du Gour de Roubaud, aux quatre figuiers de Précary, aux arboussiers de
La Garette, puis, au sommet de la Tête-Rouge, il me montra la Chantepierre.
C’était, juste au bord de la barre, une petite chandelle
de roche, percée de trous et de canaux. Toute seule, dans le silence
ensoleillé, elle chantait selon les vents.
Un petit mistral la faisait sourire ; mais s’il
se mettait en colère, elle miaulait comme un chat perdu.
Le sommet de la Tête-Rouge
Dans les pays du centre et du nord de la France, dès
les premiers jours de septembre, une petite brise un peu trop fraîche va
soudain cueillir au passage une jolie feuille d’un jaune éclatant qui tourne et
glisse et virevolte, aussi gracieuse qu’un oiseau…Elle précède de bien peu la
démission de la forêt, qui devient rousse, puis maigre et noire, car toutes les
feuilles se sont envolées, à la suite des hirondelles, quand l’automne a sonné
dans sa trompette d’or.
Mais dans mon pays de Provence, la pinède et
l’oliveraie ne jaunissent que pour mourir, et les premières pluies de septembre,
qui lavent à neuf le vert des ramures, ressuscitent le mois d’avril. Sur les
plateaux de la garrigue, le thym, le romarin, le cade, le kermès gardent leurs
feuilles éternelles autour de l’aspic toujours bleu, et c’est en silence au
fond des vallons que l’automne furtif se glisse : il profite d’une pluie
nocturne pour jaunir la petite vigne, ou quatre pêchers que l’on croit malades,
et pour mieux cacher sa venue il fait rougir les naïves arbouses qui l’ont
toujours pris pour le printemps.
C’est ainsi que les jours de vacances, toujours
semblables à eux-mêmes, ne faisaient pas avancer le temps, et l’été déjà mort
n’avait pas une ride.
JEAN DE FLORETTE
Les Bastides Blanches, c’était une paroisse de
150 habitants, perchée sur la proue de l’un des derniers contreforts du massif
de l’Etoile, à deux lieues d’Aubagne… Une route de terre y conduisait par une
montée si abrupte que de loin elle paraissait verticale : mais du côté des
collines, il n’en sortait qu’un chemin muletier, d’où partaient quelques
sentiers qui menaient au ciel.
Une cinquantaine de bâtisses mitoyennes, dont
la blancheur n’était restée que dans leur nom, bordaient cinq ou su-ix rues
sans trottoir ni bitume ; rues étroites à cause du soleil, tortueuses à
cause du mistral.
Au milieu du Boulevard, un très large escalier
d’une dizaine de marches montait à la Placette entourée de façades autour d’une
fontaine qui portait une conque de pierre accrochée à sa taille, et qui était
la mère de l’agglomération. En effet, 50 ans plus tôt, un
« estivant » de Marseille avait légué à la commune un petit sac de
pièces d’or, qui avait permis d’amener jusqu’à la Placette l’eau scintillante
de la seule source importante du pays…
Autour de la place, quelques boutiques :
le bar-tabac, l’épicier, le boulanger, le boucher, puis, grand ouvert,
l’atelier du menuisier, à côté de la forge du maréchal-ferrant, et, au fond,
l’église : elle était vieille, mais non pas ancienne, et son clocher
n’était guère plus haut que les maisons.
Les Bastidiens étaient plutôt grands, maigres
et musclés. Nés à 20 kilomètres du Vieux-Port de Marseille, ils ne
ressemblaient ni aux Marseillais ni même aux Provençaux de la grande banlieue.
Enfin, une particularité des Bastides, c’était
qu’on y trouvait que cinq ou six noms : Anglade, Chabert, Olivier,
Cascavel, Soubeyran ; pour éviter des confusions possibles, on ajoutait
souvent aux prénoms, non pas le nom de famille, mais le prénom de la mère :
Pamphile de Fortunette, Louis d’Etiennette, Clarius de Reine.
César Soubeyran approchait de la soixantaine.
Ses cheveux, rudes et drus, étaient d’un blanc jaunâtre, strié de quelques fils
roux ; de noires pattes d’araignées sortaient de ses narines pour
s’accrocher à l’épaisse moustache grise, et ses paroles sifflotaient entre des
incisives verdâtres que l’arthrite avait allongées.
Il habitait la grande vieille maison des Soubeyran,
au plus haut des Bastides, près de l’aire éventée qui dominait le village.
C’était un mas à longue façade, séparé de la
route des collines par un terre-plein que soutenait un mur de pierres bâties,
et qu’on appelait « le jardin », parce qu’une bordure de lavande
conduisait de la route à la porte. Les volets, selon la tradition de la
famille, étaient repeints en bleu clair chaque année. De plus, la réputation
bourgeoise des Soubeyran était solidement établie sur le fait qu’au lieu de
déjeuner dans la cuisine, comme tout le monde, ils avaient toujours pris leur
repas dans une pièce spéciale, la « salle à manger », où l’on pouvait
admirer une petite cheminée citadine qui ne tirait pas très bien, mais qui
était en marbre véritable.
Le Papet y vivait seul, avec une vieille
servante sourde et muette.
Ugolin était le suprême espoir de la race des
Soubeyran.
Ce neveu vivait dans l’ombre de son oncle, qui
était aussi son parrain. Il venait d’atteindre ses 24 ans… Il n’était pas
grand, et maigre comme une chèvre, mais large d’épaules, et durement musclé.
Sous une tignasse rousse et frisée, il n’avait qu’un sourcil en deux
ondulations au-dessus d’un nez légèrement tordu vers la droite, et assez fort,
mais heureusement raccourci par une moustache épointée qui cachait sa
lèvre ; enfin ses yeux jaunes, bordés de cils rouges, n’avaient pas un
instant de repos, et ils regardaient sans cesse de tous côtés, comme ceux d’une
bête qui craint une surprise. De temps à autre, un tic faisait brusquement
remonter ses pommettes, et ses yeux clignaient rois fois de suite : on
disait au village qu’il « parpelégeait » comme les étoiles.
Parmi les acteurs principaux, YVES MONTANT, un célèbre acteur et chanteur français, joue le rôle du Papet.
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