L'exposition Renoir qui se tient actuellement à Tokyo est une exposition événement.
Plus de 100 tableaux du musée d'Orsay et du musée de l'Orangerie de Paris, regroupés au National Art Museum de Roppongi. EBLOUISSANT !
L'occasion pour moi de replonger dans la vie de cet illustre peintre français dont j'ai eu la chance de commenter les oeuvres pour le public japonais.
L'occasion aussi de chercher les liens entre la peinture de Renoir et l'écriture de Zola et d'étudier l'image de la femme chez ces deux artistes.
Emile Zola est né le 2 avril 1840 et mort le 29 septembre 1902 à Paris. D'abord journaliste, puis romancier, mais aussi critique d'art, il est resté célèbre pour son engagement dans l'affaire Dreyfus, pour les Rougon-Macquart et pour les soirées de MEDAN dont on peut découvrir l'atmosphère dans la célèbre maison-musée des Yvelines :
Zola et Renoir étaient donc 2 artistes contemporains.
Pierre Auguste Renoir est né le 25 février 1841 à Limoges et mort le 3 décembre 1919 à Cagnes-sur-mer.
Musée Renoir, 06800 Cagnes-sur-Mer
C'est l'ambiance des ces rencontres d'artistes qui animaient les soirées de Médan que l'on retrouve dans le tableau ci-dessous :
Auberge de la mère Anthony, huile sur toile de Renoir, 1866
Le journal posé sur la table est l'Evénement, le journal dans lequel Zola écrivait, notamment pour défendre la peinture de Manet.
L’intérêt de Zola pour la peinture est tel qu’il écrit, en
1866, un roman, L’Œuvre, consacré à la peinture. Il met en scène un peintre
nommé Claude Lantier, dont le premier tableau, intitulé Plein air, évoque la
composition d’un tableau de Manet, Le Déjeuner sur l’herbe.
C’était une toile de cinq mètres sur
trois, entièrement couverte, mais dont quelques morceaux à peine se dégageaient
de l’ébauche. Cette ébauche, jetée d’un coup, avait une violence superbe, une
ardente vie de couleurs. Dans un trou de forêt, aux murs épais de verdure,
tombait une ondée de soleil ; seule, à gauche, une allée sombre s’enfonçait,
avec une tache de lumière, très loin. Là, sur l’herbe, au milieu des
végétations de juin, une femme nue était couchée, un bras sous la tête, enflant
la gorge ; et elle souriait, sans regard, les paupières closes, dans la pluie
d’or qui la baignait. Au fond, deux autres petites femmes, une brune, une
blonde, également nues, luttaient en riant, détachaient, parmi les verts des
feuilles, deux adorables notes de chair. Et, comme au premier plan le peintre
avait eu besoin d’une opposition noire, il s’était bonnement satisfait, en y
asseyant un monsieur, vêtu d’un simple veston de velours. Ce monsieur tournait
le dos, on ne voyait de lui que sa main gauche, sur laquelle il s’appuyait,
dans l’herbe.
L’Œuvre, Émile Zola (1866)
Zola préférait d'ailleurs Manet à Renoir.
"Il paraît que je suis le premier à
louer sans restriction1 M. Manet. C’est que je me soucie peu de toutes ces
peintures de boudoir, de ces images colorées, de ces misérables toiles où je ne
trouve rien de vivant. […] Le tempérament de M. Manet est un tempérament sec,
emportant le morceau. Il arrête vivement ses figures, il ne recule pas devant
les brusqueries de la nature, il rend dans leur vigueur les différents objets
se détachant les uns sur les autres. Tout son être le porte à voir par taches,
par morceaux simples et énergiques. On peut dire de lui qu’il se contente de
chercher des tons justes et de les juxtaposer ensuite sur une toile. Il arrive
que la toile se couvre ainsi d’une peinture solide et forte. Je retrouve dans
le tableau un homme qui a la curiosité du vrai et qui tire de lui un monde
vivant d’une vie particulière et puissante. Vous savez quel effet produisent
les toiles de M. Manet au Salon. Elles crèvent le mur tout simplement. […] Ne
regardez plus les tableaux voisins. Regardez les personnes vivantes qui sont
dans la salle. Étudiez les oppositions de leurs corps sur le parquet et sur les
murs. Puis regardez les toiles de M. Manet : vous verrez que là est la vérité
et la puissance. Regardez maintenant les autres toiles, celles qui sourient
bêtement autour de vous : vous éclatez de rire, n’est-ce pas ? […] J’ai tâché
de rendre à M. Manet la place qui lui appartient, une des premières. On rira
peut-être du panégyriste3 comme on a ri du peintre. Un jour, nous serons vengés
tous deux. Il y a une vérité éternelle qui me soutient en critique : c’est que
les tempéraments seuls dominent les âges. Il est impossible, – impossible entendez-vous
– que M. Manet n’ait pas son jour de triomphe, et qu’il n’écrase pas les
médiocrités timides qui l’entourent."
Salon de 1866, Manet, Émile Zola (1866)
Chez Renoir, seul le tableau Lise à l'ombrelle trouve grâce aux yeux de Zola.
Lise à l'ombrelle, huile sur toile de Renoir, 1867
"Cette Lise me paraît être la sœur de la Camille de Claude Monet. Elle se présente de face, débouchant d'une allée, balançant son corps souple, attiédi par l'après-midi brûlante. C'est une de nos femmes, une de nos maîtresses plutôt, peinte avec une grande vérité et une recherche heureuse du côté moderne."
Mon Salon - Les Actualistes 1868
La Balançoire, huile sur toile de Renoir, 1876
C'est pourtant de cette robe que s'inspirera le réalisateur Jean Renoir, l'un des fils du peintre, pour son film Une partie de Campagne inspirée de la nouvelle de Guy de Maupassant.
Regardez dans l'extrait ci-dessus la robe de la mère de la jeune fille.
Toutes deux sont tombées sous le charme des canotiers.
Zola et Renoir, malgré leurs divergences et leur vision totalement opposée de la vie, partage la valeur du travail acharné.
Renoir a travaillé sans relâche jusqu'à sa mort, sacrifiant souvent sa vie de famille à sa peinture, et Zola menait parfois des mois d'enquête avant de se lancer dans l'écriture d'un roman. C'est ce qu'il fit par exemple dans l'univers des mineurs pour écrire son célèbre Germinal.
Les deux artistes se sont influencés mutuellement, c'est incontestable...
Lisez plutôt :
Françoise Merlier venait d'avoir dix-huit ans. Elle ne passait pas pour une des belles filles du
pays, parce qu'elle était chétive. Jusqu'à quinze ans, elle avait même été laide. on ne pouvait
pas comprendre, à Rocreuse, comment la fille du père et de la mère Merlier, tous deux si bien
plantés, poussait mal et d'un air de regret. Mais à quinze ans, tout en restant délicate, elle prit
une petite figure, la plus jolie du monde. Elle avait des cheveux noirs, des yeux noirs, et elle
était toute rose avec ça ; une bouche qui riait toujours, des trous dans les joues, un front clair
où il y avait comme une couronne de soleil. Quoique chétive pour le pays, elle n'était pas
maigre, loin de là ; on voulait dire simplement qu'elle n'aurait pas pu lever un sac de blé ; mais
elle devenait toute potelée avec l'âge, elle devait finir par être ronde et friande comme une
caille. Seulement, les longs silences de son père l'avaient rendue raisonnable très jeune. Si elle
riait toujours, c'était pour faire plaisir aux autres. Au fond, elle était sérieuse.
Zola, L'attaque du moulin, 1880
Et regardez :
La liseuse, huile sur toile, 1874
Mais je crois que ce que je préfère c'est la façon dont Zola et Renoir ont su transformer la femme en paysage...
Une page d’amour, Zola – II, 5
A
droit, à gauche, les monuments flambaient. Les verrières du palais de
l’Industrie, au milieu des futaies des Champs-Elysées, étalaient un lit de
tisons ardents ; plus loin, derrière la toiture écrasée de la Madeleine,
la masse énorme de l’Opéra semblait un bloc de cuivre ; et les autres
édifices, les coupoles et les tours, la colonne Vendôme, Saint-Vincent-de-Paul,
la tour Saint-Jacques, plus près les pavillons du nouveau Louvre et des
Tuileries, se couronnaient de flammes, dressant à chaque carrefour des bûchers
gigantesques. Le dôme des Invalides était en feu, si étincelant, qu’on pouvait
craindre à chaque minute de le voir s’effondrer, en couvrant le quartier des
flammèches de sa charpente. Au-delà des tours inégales de Saint-Sulpice, le
Panthéon se détachait sur le ciel avec un éclat sourd, pareil à un royal palais
de l’incendie qui se consumerait en braise. Alors, Paris entier, à mesure que
le soleil baissait, s’alluma aux bûchers des monuments. Des lueurs couraient
sur les crêtes des toitures, pendant que, dans les vallées, des fumées noires
dormaient. Toutes les façades tournées vers le Trocadéro rougissaient, en
jetant le pétillement de leurs vitres, une pluie d’étincelles qui montaient de
la ville, comme si quelque soufflet eût sans cesse activé cette forge
colossale. Des gerbes toujours renaissantes s’échappaient des quartiers
voisins, où les rues se creusaient, sombres et cuites. Même, dans les lointains
de la plaine, du fond d’une cendre rouge qui ensevelissait les faubourgs
détruits et encore chauds, luisaient des fusées perdues, sorties de quelque
foyer subitement ravivé. Bientôt ce fut une fournaise. Paris brûla. Le ciel
s’était empourpré davantage, les nuages saignaient au-dessus de l’immense cité
rouge et or.
Regardez les contours des corps féminins... Ce chapeau qui devient paysage... ce coude dont on ne sait plus s'il appartient au corps ou au décor ...
Un dernier détail...
Si vous allez voir les tableaux de Renoir... à Tokyo, à Paris ou ailleurs... Faites attention aux boucles d'oreille... souvent le signe d'une beauté amoureuse mises en valeur par l'artiste !
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